Lettre ouverte à Monsieur Mohamed Salah Tamek, Délégué général de la Délégation à l’administration pénitentiaire
Monsieur le Délégué général,
Le Comité France de soutien à l’historien Maati Monjib et à tous les détenus politiques et d’opinion au Maroc se déclare très inquiet par la prolongation de la grève de la communication que poursuit le prisonnier d’opinion Soulaiman Raissouni, depuis son transfert à la prison Aïn Borja au début du mois de juillet, numéro d’écrou 91154.
Cette grève consiste en un refus de sa part de recevoir les visites de sa famille et de ses avocats, de les contacter par téléphone, et de sortir pour les promenades. Il l’a déclenchée pour protester contre la confiscation, par l’administration pénitentiaire, lors de son transfert de la prison Oukacha à la prison Ain Borja, de ses notes et écrits personnels, et notamment d’un brouillon de roman qu’il était en train d’écrire et pour protester contre une vidéo tournée à son insu alors qu’il était dévêtu dans sa cellule. Ces mesures punitives n’ont jamais été reconnues ni justifiées par l’administration.
Cette nouvelle grève après celle de la faim des 122 jours, renforce son isolement et sa souffrance. Elle renforce et prolonge l’isolement carcéral auquel il a été soumis pendant près de deux ans lors de son incarcération préventive à la prison de Oukacha. Or nous tenons à rappeler que le Comité contre la torture de l’ONU et les organisations internationales de défense des droits humains considèrent la mise en isolement prolongé de prisonniers comme un acte de torture qui peut avoir des effets dévastateurs, altération des sens, déstabilisation des repères spatio-temporels, décompensation psychologique.
Cette grève affecte aussi très durement son entourage, sa famille, son épouse et son très jeune fils, qui de ce fait sont également privés de visite, restent sans nouvelles de Soulaiman et vivent dans une anxiété grandissante au fil des semaines.
Une solution simple permettrait de sortir Soulaiman Raissouni de cette situation : lui remettre les effets personnels confisqués, et notamment ses notes et textes qu’il avait rédigés. Tant qu’une telle mesure n’est pas prise, nous considérons l’administration pénitentiaire comme responsable des altérations éventuelles de l’état de santé physique et mentale du détenu dont elle a la garde.
Nous voulons rappeler ici que cette mesure n’est malheureusement pas une exception : d’autres journalistes emprisonnés avant ou après Soulaiman Raissouni (nous pensons notamment à Tawfiq Bouachrine et à Omar Radi) ont subi les mêmes confiscations de leurs écrits personnels, y compris de livres qu’ils avaient annotés. Ils ne reçoivent par ailleurs que fort rarement le courrier qui leur est adressé, cependant que leurs propres lettres ne sont pas acheminées à leurs destinataires.
Au-delà des mesures scandaleuses qui sont appliquées au Maroc à Soulaiman Raissouni et aux autres journalistes emprisonnés, nous voudrions également souligner la responsabilité que prend l’administration pénitentiaire en empêchant les prisonniers de mener à bien des projets d’écriture. Faut-il rappeler que si telle avait été la réaction des geôliers dans différents pays du monde, nous ne pourrions pas aujourd’hui lireLe livre des merveillesde Marco Polo, Don Quichotte de Cervantès, les poésies de François Villon, Crime et châtimentde Dostoievski, Un long chemin vers la liberté, de Nelson Mandela, les Lettres à Olga de Vaclav Havel, Les sept crucifiés de l’espoir, d’Abdellatif Laâbi, pour ne citer que ces quelques chefs d’œuvre de la littérature mondiale, tous écrits en prison.
Aussi nous vous demandons de bien vouloir remettre dans les plus brefs délais à Soulaiman Raissouni, ainsi qu’à Tawfiq Bouachrine et à Omar Radi, tous les documents qui leur ont été confisqués, de lever la non remise des courriers qui leur sont adressés et le non envoi de ceux qu’ils ont rédigés.
Nous vous assurons, Monsieur le Délégué général, de toute notre vigilance sur les suites qui seront données à ce courrier,
Paris, le 3 octobre 2022
Comité France de soutien à l’historien Maati Monjib et à tous les détenus politiques et d’opinion au Maroc
A
Monsieur Mohamed Salah Tamek,
Délégué général de la Délégation à l’administration pénitentiaire au Maroc
Avenue Al Araar
Rabat
Copie à :
Monsieur Abdellatif Ouahbi,
Ministre de la justice
Rue de Beyrouth
Rabat
Et à
Monsieur Abdenbi Ben-Bouich
Directeur
de la prison d’Aîn Borja
Rue Al Arz, Mers Sultan, Casablanca
Cette lettre sera également adressée à la presse